d'un jardin d'Anatolie de Dido Sotiriou
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Voilà un livre-témoin, en forme de devoir de mémoire à l'accent épique.
Le sort des Grecs d'Asie Mineure dans les années 20, est un fait assez méconnu en Occident bien que ses dirigeants en aient été des acteurs déterminants.
Manolis Axiotis, paysan micrasiate, tel un Ulysse des temps modernes, traverse cette période troublée où l'héroïsme pur de gens peu préparés à la guerre et son chapelet et de gloires amères, le dispute à la sauvagerie la plus inattendue, la plus entière et définitive ... Qui se souvient de ses centaines de milliers de morts et son million et demi d'échangés ?
Manolis nous fait tout d'abord découvrir une communauté disparue rayée de la carte à jamais : la vie des champs au rythme des saisons, des fêtes religieuses mais aussi au gré des rencontres et des échanges avec les autres communautés présentes sur le sol anatolien. Il nous fait visiter cette ruche qu'est la Smyrne de l'époque, travailleuse, entreprenante, brillante et cultivée. Gavur Izmir, disaient les Turcs, (Smyrne l'Infidèle), du fait de sa majorité non-musulmane.
Avec le premier conflit mondial, l'empire ottoman déjà moribond ne qu'à ses sujets des "millets" non-musulmans qu'un service en forme de travaux forcés : amélé taburu, jumeau du STO à la mode orientale. C'était une façon de s'assurer que les soldats Grecs ottomans ne rejoignent pas les rangs de l'ennemi au cours de la bataille, voire en collaborant à titre civil, puisse qu'ils étaient envoyés à des centaines de kilomètres de leur lieu d'origine. Brimades, famine, maladies et bien sûr, désertion.
Manolis est malin. Manolis est courageux sans fanfaronnade. Il nous raconte sa captivité, sa lutte contre le désespoir. Il nous fait partager son amourette sans espoir avec Edavié, une jeune Turque, chez qui Manolis avait été envoyé après ses premiers travaux.
Après s'être engagé dans l'armée régulière hellénique, il assiste aux premières loges de la "grande catastrophe", la perte de l'Asie Mineure par la Grèce. Il s'initie à la conscience politique en combattant aux côtés d'un étudiant crétois, Drossakis, qui meure pratiquement dans ses bras. Il assiste à sa déroute, aux exactions perpétrées des deux côtés, à la politique de la terre brûlée pour fuir l'apothéose qu'est l'incendie de Smyrne. Il parvient à fuir jusqu'à Samos... Manolis, jamais en reste d'un moyen d'aller toujours de l'avant. Jamais victime mais pourtant victime.
C'était un livre difficile pour moi, la petite-fille d'Aristide le Micrasiate qui lui aussi, a fui sa ville bien-aimée... A chaque page, je me demandais si ma famille avait "vu" de ses yeux "vu" toute cette horreur, les filles dont on avait coupé les seins pour que les Turcs s'en fassent des komboloï, les incendies, les massacres...
C'était un livre difficile mais nécessaire. Il fait écho en moi au magistral "la liberté ou la mort" de Nikos Kazantzaki, qui relatait la lutte des Crétois pour leur indépendance.
Ref ''''
http://www.journalduneamazone.com/article-5100388.html '''