Ouverture officielle mercredi de pourparlers historiques sur la réunification de Chypre
AP | 02.09.2008 | 16:46
Pour la première fois depuis de longues années, Chypre espère voir enfin réglée la partition de l'île, coupée en deux depuis 1974: les dirigeants chypriote grec et chypriote turc se retrouvent en effet mercredi pour l'ouverture formelle de pourparlers directs sur la réunification.
Le président de la République de Chypre Dimitris Christofias et le dirigeant de la partie nord de l'île Mehmet Ali Talat se disent tous deux déterminés à mettre un terme à la division, et c'est la bonne volonté et l'esprit de détente affichés par ces deux partenaires qui ont réveillé un optimisme longtemps étouffé.
"Pour la première fois, on a deux dirigeants de gauche, modérés, qui sont considérés comme sérieux dans leurs tentatives de régler le problème", relève Hubert Faustmann, professeur de relations internationales à l'Université de Chypre. "Avant, il y en avait au moins un pour tout gâcher."
Chypre est coupée en deux depuis 34 ans et l'invasion par la Turquie, riposte à une tentative de putsch des partisans du rattachement à la Grèce. Depuis, Ankara a toujours 35.000 soldats en République turque de Chypre-Nord (RTCN) qu'elle est seule à reconnaître. Sans compter les nombreux colons envoyés d'Anatolie pour prendre la place des Chypriotes grecs fuyant les forces turques.
Les efforts de paix précédents ont échoué à multiples reprises, butant sur les mêmes points d'achoppement: comment se partager le pouvoir, les droits de propriété des Chypriotes grecs déplacés, la nature même d'une fédération à venir et le rôle à jouer par la Turquie et la Grèce. Les deux pays demeurent puissances garantes pour l'île, depuis son indépendance de la Grande-Bretagne en 1960.
Chypre a déjà usé 15 émissaires spéciaux des Nations unies, qui depuis des décennies se sont cassé successivement les dents sur l'épineuse question de la réunification de "l'île d'Aphrodite", où vivent moins d'un million d'habitants.
La dernière tentative, en 2004, avait échoué lors du référendum sur le plan de l'ONU mis au point par Kofi Annan: les Chypriotes turcs avaient voté pour, mais les Chypriotes grecs, à l'époque présidés par l'intransigeant Tassos Papadoupoulos, opposé à la réunification, l'avaient rejeté.
De ce fait, Chypre était entrée toujours divisée cette même année dans l'Union européenne, les Chypriotes turcs étant exclus des avantages liés à l'adhésion. Et le dossier chypriote continue d'empoisonner les relations entre Bruxelles et Ankara.
La situation, qui semblait devoir s'éterniser dans l'impasse, s'est dégelée en février 2008 lorsque Christofias (parti communiste Akel), à la surprise générale, a été élu à la présidence de la République après avoir fait campagne sur la relance des pourparlers de paix.
Christofias et Talat, tous deux de centre-gauche, s'accordèrent rapidement pour mettre sur pied des commissions ad hoc chargées de débroussailler les principaux dossiers de la réunification, et pour effectuer un geste hautement symbolique: la réouverture en avril du point de passage de Ledra Street, principale artère commerçante de la vieille ville de Nicosie, dernière capitale divisée d'Europe.
Aujourd'hui, malgré le retard pris, Talat estime qu'un accord est possible dans les neuf mois à venir.
Si la rencontre de mercredi s'annonce comme largement cérémonielle, l'urgence d'un règlement est de plus en plus forte. Désormais, le sentiment largement partagé est que si les pourparlers échouent encore cette fois-çi, la partition officielle de l'île deviendra inéluctable, transformant la RTCN en une sorte de "Taïwan de la Méditerranée", selon l'expression d'Andrekos Varnava, professeur d'histoire à l'Université européenne de Chypre.
Mais Christofias, 62 ans, et Talat, 56 ans, divergent toujours sur la forme que prendrait une future Chypre réunifiée.
Le Chypriote grec veut un gouvernement central plus fort, avec des pouvoirs régionaux plus limités. Et ce pour apaiser les inquiétudes de ceux de ses électeurs, qui craignent qu'un fédéralisme trop poussé ne débouche à terme sur une partition officielle. C'est à ce prix qu'il a obtenu le soutien de ses ennemis d'antan à ses efforts en faveur d'un règlement.
De leur côté, les Chypriotes turcs, qui ne représentent qu'un quart de la population totale de l'île, sont favorables à une fédération plus souple, ayant peur d'être totalement dominés par les Chypriotes grecs.
Surtout, Talat n'a pas les mains libres, et toutes ces décisions risquent d'être affectées par les turbulences politiques en Turquie.
De l'avis d'Erol Kaymak, professeur de relations internationales à l'Université de Méditerranée orientale, Ankara n'est peut-être pas prête à signer un accord sur Chypre. Après avoir survécu de justesse à la fronde réclamant sa dissolution pour cause d'activités anti-laïques, l'AKP (parti de la justice et du développement) du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan n'a pas forcément envie de faire des concessions difficiles à avaler pour les Turcs sur un thème aussi passionnel que la question chypriote. "Il est probable que l'AKP ne voudra pas prendre trop de risques." AP