La Grèce se décide enfin à lutter contre les incendies qui ravagent chaque été le pays

La Grèce se décide enfin à lutter contre les incendies qui ravagent chaque été le pays
Le Monde - 26/12/2009

Après les incendies meurtriers qui ont ravagé au mois d'août les environs d'Athènes, la Grèce a décidé de déclarer la guerre au feu. "Ici, on patrouille sans cesse, près de la mer, près de la ville. Tout le monde veut construire, alors un feu est si vite parti", explique Gerassimos Ligouris, un technicien à la retraite qui anime depuis vingt-trois ans une association de protection de la forêt. Selon lui, la pression immobilière et l'incurie publique sont responsables de la situation. "Les services d'urbanisme sont corrompus, les autorités municipales" destinataires du plus gros des fonds de prévention (quelque 60 millions en 2009), "incapables. Si on laissait faire, tout partirait en fumée", s'emporte-t-il.

Comme trop souvent en Grèce, Gerassimos Ligouris a recours au système D pour protéger le massif de Gerania, dont les forêts de pins dominent sa localité de Loutraki, au nord-ouest d'Athènes : "Nous devons sans cesse mendier des fonds, des tenues, des véhicules, et nous ne sommes même pas assurés quand nous montons au feu." L'été, pour repérer les foyers d'incendie, son équipe s'est entendue avec les employés d'un radar des télécoms en hauteur. Et pour entretenir les accès ou nettoyer les sous-bois, les sauveteurs contournent si possible le Service des forêts, miné par la bureaucratie et en sous-effectif chronique.

Les résultats sont là : M. Ligouris est fier que sa région ait été épargnée lors des incendies de l'été 2007 et d'août dernier. Plus de 250 000 hectares forestiers et agricoles brûlés, des centaines de bâtiments sinistrés, 77 morts, la ceinture verte d'Athènes partie en fumée : autorités et opinion publique ont fini par s'émouvoir. L'heure est à la remise à niveau d'un système de prévention et de lutte dont tous reconnaissent l'inefficacité.

"GUÉRILLA ANTI-INCENDIE"

Pour Costas Liarikos, de l'ONG écologiste WWF, il y a urgence. La Grèce a déjà perdu 484 400 hectares de forêts entre 1987 et 1997, et 582 900 la décennie suivante. Le ministère de l'environnement et du changement climatique dont le nouveau gouvernement socialiste vient de doter le pays, s'est saisi du dossier en priorité. "Le message c'est que la construction sur les forêts brûlées, c'est terminé", proclame la ministre, Tina Birbili, auteure d'un projet de loi qui sera testé en Attique, la région qui entoure Athènes, avant son extension au reste du pays. Le texte prévoit le gel des permis de construire tant qu'un registre forestier, en souffrance depuis des décennies, n'est pas créé ; la mise en place d'une surveillance satellitaire des zones consumées ; et la formation d'un service de destruction dont les bulldozers seront prêts à intervenir contre tout chantier fautif. Autre mesure : toute surface boisée à 15 % - contre 25 % actuellement - sera considérée comme forestière, et donc soustraite à la promotion immobilière.

"Lutter contre la mafia immobilière, c'est très bien" pour aider à la reforestation et empêcher que ne poussent dans l'anarchie des lotissements hautement combustibles, faute d'accès faciles ou de bornes d'incendies, convient Gabriil Xanthopoulos, chercheur à l'Institut des écosystèmes forestiers. "Il ne faut surtout pas oublier que la plupart des feux sont accidentels ou naturels. Prétendre le contraire est le meilleur moyen de justifier l'incurie de tous", insiste-t-il.

Selon lui, la guerre du feu se gagnera avant tout dans les esprits, contre les idées reçues. "Empêcher totalement les incendies est irréalisable et ce n'est même pas souhaitable car le feu est nécessaire à leur régénération. L'objectif doit être d'en limiter l'ampleur, et le coût humain", affirme-t-il.

Le scientifique plaide pour une sorte de retour de l'homme à la forêt : "Subventionner des collecteurs de résine peut être plus efficace et moins coûteux que payer des gardes forestiers. Et autoriser, sous contrôle, la pâture est un excellent moyen de nettoyer les sous-bois."

Au ministère de la protection du citoyen, qui a sollicité M. Xanthopoulos pour apporter savoir-faire et connaissance du terrain aux pompiers, il conseille aussi de privilégier "la guérilla anti-incendie, en rupture avec le modèle français de lutte frontale, que nous avons copié alors qu'il n'est pas adapté à nos moyens". "Si nous arrivons à reconstituer un commando forestier d'élite comme nous en avions dans les années 1990, l'été prochain sera peut-être moins désastreux", espère-t-il.

Catherine Boitard