En Grèce, la lutte contre l'évasion fiscale est un défi historique
AFP - 28/09/2010
Le gouvernement grec mène la bataille contre l'évasion fiscale en traquant piscines non déclarées ou transferts d'argent à l'étranger, mais le défi à relever pour transformer les Grecs en contribuables civiques est à la mesure de la crise: historique, selon les analystes. Représentant "environ 30% du Produit intérieur brut (PIB)", l'évasion fiscale est la plaie saignante de l'économie d'un pays en grave crise budgétaire, déclare dans un entretien accordé à l'AFP Yannis Kapeléris, chef de la Brigade financière (SDOE) grecque. En recevant le prêt qui lui évitait la faillite au printemps, la Grèce s'est engagée auprès du Fonds Monétaire International (FMI) et de l'Union européenne (UE) à augmenter d'ici la fin de l'année ses recettes publiques de 13,7%, mais son gouvernement a dû reconnaître mi-septembre que la hausse n'était que d'environ 4% du PIB. Dans son dernier rapport, le FMI souligne la difficulté du gouvernement face à "la culture persistante" de l'évasion fiscale et aux résistances internes des services du fisc. "Changer la mentalité, cultiver l'esprit civique et celui du contrat social est le plus important défi que le gouvernement grec doit relever", déclare à l'AFP Jens Bastian, économiste à la Fondation hellénique pour les politiques européennes (Eliamep). Dans ce pays, il existe "un problème de confiance en l'Etat depuis des décennies, l'argent des contribuables était gaspillé, les écoles, les hôpitaux, les services sociaux ne sont pas au niveau adéquat", explique Thomas Gérakis, analyste politique et chef de l'institut de sondage Marc. Les défaillances du mécanisme de collecte d'impôts, souvent insuffisant et corrompu, ont accru la méfiance, seuls les salariés étant imposés à la source alors que les revenus élevés restaient hors contrôle. "Puisque les riches arrivent à y échapper, le salarié va essayer de ne pas déclarer les revenus d'un deuxième emploi ou le loyer d'un appartement", dit M. Gérakis. Afin de tenter d'apaiser l'agitation sociale provoquée par les réductions de salaire des fonctionnaires et des retraites annoncées au printemps, le gouvernement affiche désormais sa détermination à faire payer ceux qui échappaient à l'impôt. "Les médecins, les notaires, les avocats, les ingénieurs civils, presque l'ensemble des professions libérales, mais aussi les boîtes de nuit et les commerces en zone touristique, où l'émission de factures est rare, sont dans le collimateur", souligne M. Kapeléris. Réorganisée récemment, "la SDOE a jusqu'ici repéré 1.113 piscines non déclarées dans le nord du pays et infigé 2,8 milliards d'euros d'amendes", ajoute le très médiatique chef de la Brigade financière. Toutefois, le dispositif gouvernemental ne convainc pas tout le monde. "Les outils ne sont pas encore suffisants, il y a un déficit institutionnel de la capacité du gouvernement de collecter l'impôt", estime M. Bastian. D'autant que la préparation d'une loi d'amnistie pour les infractions fiscales de la dernière décennie, en contrepartie du versement par les fautifs d'un forfait indexé sur leurs revenus, est dénoncé jusque dans les rangs de la majorité socialiste comme une mesure injuste, encourageant à la fraude. Le gouvernement rétorque que l'amnistie, déjà accordée dans le passé, sera appliquée "pour la dernière fois", la restructuration de la Fonction publique étant ensuite censée corriger les défaillances de l'administration des impôts. "Il y a une certaine prise de conscience à l'occasion de la crise, mais le changement des mentalités prendra du temps et pour l'accélérer il faut que l'Etat cultive la confiance", résume Me Sophia Drossopoulou, membre du conseil d'administration du barreau d'Athènes.